Fini de rire ?
Le rire qui est sans doute le
propre de l'homme, est-il éternel ?
L’humour transmute la tristesse
en joie, donc la haine en amour ou en miséricorde, la désillusion en comique,
le désespoir en gaité…lui qui désamorce le sérieux qu’il ne prend pas au
sérieux, mais aussi, et par là même, la haine, la colère, le ressentiment, le
fanatisme, l’esprit de système, la mortification, et jusqu’à l’ironie.
Rire de soi d’abord, mais sans
haine. Ou de tout, mais en tant seulement qu’on en fait partie, et qu’on
l’accepte une bonne fois pour toutes.
L’humour dit oui, oui malgré
tout, oui quand même, y compris à tout ce que l’humoriste, en tant qu’individu,
est incapable d’accepter.
On peut plaisanter sur tout : sur
l’échec, sur la guerre, sur la mort, sur la maladie, sur l’amour, sur la
torture….Encore faut-il que ce rire ajoute un peu de joie, un peu de douceur ou
de légèreté à la misère du monde, et non davantage de haine, de souffrance ou
de mépris.
On peut rire de tout, mais pas
n’importe comment .Le rire n’est pas tout, et n’excuse rien. Au reste
s’agissant de maux qu’on peut empêcher ou combattre, il serait évidemment
coupable de se contenter de plaisanter.
L’humour ne tient pas lieu
d’action, et l’insensibilité, concernant la souffrance d’autrui est une faute
impardonnable.
Mais il serait coupable aussi,
dans l’action comme dans l’inaction, de prendre trop au sérieux ses propres
bons sentiments, ses propres angoisses, ses justes révoltes, ses vraies vertus.
Lucidité bien ordonnée commence
toujours par soi-même, dit-on !
De là l’humour, qui peut faire
rire de tout à condition de rire d’abord de soi-même !
C’est Pierre Dac qui confronté à
la grande question humaine se disait : « A l’éternelle triple question
toujours demeurée sans réponse : Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où
allons-nous ? » répondait « : En ce qui me concerne personnellement, je suis
moi, je viens de chez moi et j’y retourne ».
Rien à comprendre donc, il reste
à rire, non pas contre en mauvaise ironie, mais de, mais avec, mais dans
l’humour, toujours dans l’humour!
Nous sommes embarqués, et il n’y
a pas de bateau : Mieux vaut alors en rire que d’en pleurer !
L’humour change notre regard,
allège notre fardeau de vie .
Telle est la sagesse de
Shakespeare, de Rabelais et de notre sage Montaigne, et c’est la même, …Et
c’est la seule et la vraie !
Tout cela pour venir à un
constat : nous vivons une époque où les émotions sont reines. Indignation,
fureur, colère, balayent tout et s'expriment sans filtre. On semble donc bien
partis pour voir se réduire nos aires de jeu et de rigolades. Bientôt,
l'obsession morale et le sectarisme nous auront encerclés. Le rire est sans doute le propre de l'homme, mais est-t-il
éternel ?
Milan Kundera (dans Les Testaments trahis) a
exprimé avec fatalisme ses craintes pour l'avenir. Il se pourrait que notre
futur soit incertain et troublé, parce que l'humour "n'est pas là
depuis toujours, il n'est pas là pour toujours non plus".
Cela étant, Aristote, tout comme
Démocrite, Erasme, Spinoza et Comte-Sponville pour n’en citer que quelques uns,
rangeait l’humour parmi les grandes vertus humaines. Il appelait cette
disposition à prendre les réalités avec quelques distances « eu-trapelia
», soit une capacité à savoir bien tourner les événements qui nous arrivent.
En cela, l’humour est plus qu’une
vertu, il est le rayonnement de toutes les vertus.
Peut-on se passer de toutes
celles-ci, dont celle d’en rire ?
Etienne Moulron
Fondateur de la Maison du Rire et de l'Humour
et Créateur du " Prix Humour de Résistance"
1, avenue Pierre le Vénérable
71250-Cluny
France
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